Totalitarisme et barbarie, Simone WEIL, 1939-1940 – sélection de textes, livre audio
Totalitarisme et barbarie : de la Rome antique à l'hitlérisme, livre audio d'une sélection de trois textes de Simone WEIL rédigés entre 1939 et 1940, où celle-ci s'interroge sur la nature de la barbarie, ses liens essentiels avec la notion de force qu'elle tâche de placer au centre des phénomènes politiques, et sur la forme spécifique que la barbarie revêt sous l'empire des grands États centralisés et conquérants, construits sur le modèle de la Rome antique – selon elle, premier modèle par excellence de l'État totalitaire
Réflexions sur la barbarie, ébauche inachevée rédigée en 1939 (en vue d'un article qu'elle destinait probablement aux Nouveaux Cahiers ou à la revue Esprit), est un texte bref mais éminemment révélateur de la démarche weilienne, qui se propose de penser la philosophie politique à la façon d'une science physique des rapports sociaux, en «mettant au centre la notion de force, comme la notion de rapport est au centre des mathématiques».
L'autrice relève une insuffisance dans la notion de classe, placée au centre de la lecture marxiste des rapports humains : celle-ci, en effet, investit le prolétariat d'un destin messianique – qui est de lever le joug de l'oppression qui pèse sur le genre humain – et cependant ignore, plus encore que la question ailleurs posée par Weil de savoir par quel miracle se pourrait instituer un règne des opprimés – soit, oxymore des oxymores : la force des faibles –, celle de savoir comment escompter que les opprimés, une fois investis par la force, n'en seraient à leur tour enivrés comme le furent avant eux leurs oppresseurs.
Ainsi, selon une vue qu'elle élucidera brillamment la même année dans L'Iliade ou le poème de la force, Simone Weil propose l'idée que la barbarie n'est pas autre chose que cette espèce d'ivresse de la force, qui abolit chez ceux qui croient la posséder toute mesure et toute vertu d'humanité puisque, plus rien ne leur opposant de résistance dans la matière humaine tout autour d'eux aussi longtemps qu'ils sont en position de force, rien n'arrête leur élan, et ainsi les forts sont disposés à ne plus percevoir dans les autres hommes que des choses à leur merci.
Réflexions en vue d'un bilan, rédigé au printemps 1939 après qu'Hitler a envahi la Tchécoslovaquie et que l'Angleterre a voté la conscription, marque un tournant intellectuel pour Simone Weil : face à l'entrée en guerre qui se profile et l'éventualité de plus en plus tangible d'une domination hitlérienne étendue sur l'Europe et le monde, les thèses du pacifisme intégral qu'elle avait défendues jusque-là deviennent caduques.
Certes l'entrée en guerre comporte la nécessité d'une militarisation de la vie sociale d'un pays, laquelle implique à son tour une extension considérable de l'oppression étatique et industrielle – phénomène qu'analysaient ses Réflexions sur la guerre dès 1933. Mais il apparaît, face à Hitler, qu'une telle nation totalitaire et conquérante, si elle sortait victorieuse, imposerait le même écrasement aux populations vaincues, qu'elle embrigaderait de force dans ses conquêtes.
Le refus de la force et le positionnement du retrait pacifiste paraissent dès lors intenables. Face à de telles circonstances, lorsqu'une force terrible menace d'engloutir le monde, il peut y avoir obligation de résistance. La justice semble alors indiquer le devoir d'opposer à cette force une force à peu près égale ; non pas pour chercher à l'engloutir, ce qui ne consisterait qu'à la remplacer, mais afin de la tenir en respect.
Quelques réflexions sur les origines de l'hitlérisme, paraît en 1940 dans les Nouveaux Cahiers. Cet article imposant, qui cherche à élucider la nature profonde du totalitarisme nazi, en cherche la racine dans l'héritage romain : la Rome antique, en effet, par son exaltation de la force d'une part, par son extrême degré de centralisation et d'étatisation de la vie sociale d'autre part, fournit selon Simone Weil le tout premier et l'un des plus excellents modèles d'État totalitaire.
Après avoir étayé cette analogie entre hitlérisme et Rome antique, l'article pointe le péril qu'il y aurait, en cas de victoire des Alliés, à écraser une Allemagne vaincue. Un tel écrasement solderait bien moins la défaite de la barbarie et des tentations totalitaires qu'il n'en impliquerait le triomphe et la continuation, sous d'autres formes et à la main d'autres maîtres.
SOMMAIRE
0:00:00 Titre et musique introductive
0:01:16 Réflexions sur la barbarie
0:10:09 Réflexions en vue d'un bilan
1:03:31 Quelques réflexions sur les origines de l'hitlérisme
2:07:34 Chostakovitch, Quatuor n°15
♪♬ Musique : passages choisis du 15ème quatuor à cordes de Dmitri CHOSTAKOVITCH (1974), interprété par le Borodin String Quartet, et disponible au lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=MMIhsjkqnGE
◙ Tableau accompagnant la lecture : Massacre en Corée, de Pablo PICASSO (1951).
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Réflexions sur la barbarie, ébauche inachevée rédigée en 1939 (en vue d'un article qu'elle destinait probablement aux Nouveaux Cahiers ou à la revue Esprit), est un texte bref mais éminemment révélateur de la démarche weilienne, qui se propose de penser la philosophie politique à la façon d'une science physique des rapports sociaux, en «mettant au centre la notion de force, comme la notion de rapport est au centre des mathématiques».
L'autrice relève une insuffisance dans la notion de classe, placée au centre de la lecture marxiste des rapports humains : celle-ci, en effet, investit le prolétariat d'un destin messianique – qui est de lever le joug de l'oppression qui pèse sur le genre humain – et cependant ignore, plus encore que la question ailleurs posée par Weil de savoir par quel miracle se pourrait instituer un règne des opprimés – soit, oxymore des oxymores : la force des faibles –, celle de savoir comment escompter que les opprimés, une fois investis par la force, n'en seraient à leur tour enivrés comme le furent avant eux leurs oppresseurs.
Ainsi, selon une vue qu'elle élucidera brillamment la même année dans L'Iliade ou le poème de la force, Simone Weil propose l'idée que la barbarie n'est pas autre chose que cette espèce d'ivresse de la force, qui abolit chez ceux qui croient la posséder toute mesure et toute vertu d'humanité puisque, plus rien ne leur opposant de résistance dans la matière humaine tout autour d'eux aussi longtemps qu'ils sont en position de force, rien n'arrête leur élan, et ainsi les forts sont disposés à ne plus percevoir dans les autres hommes que des choses à leur merci.
Réflexions en vue d'un bilan, rédigé au printemps 1939 après qu'Hitler a envahi la Tchécoslovaquie et que l'Angleterre a voté la conscription, marque un tournant intellectuel pour Simone Weil : face à l'entrée en guerre qui se profile et l'éventualité de plus en plus tangible d'une domination hitlérienne étendue sur l'Europe et le monde, les thèses du pacifisme intégral qu'elle avait défendues jusque-là deviennent caduques.
Certes l'entrée en guerre comporte la nécessité d'une militarisation de la vie sociale d'un pays, laquelle implique à son tour une extension considérable de l'oppression étatique et industrielle – phénomène qu'analysaient ses Réflexions sur la guerre dès 1933. Mais il apparaît, face à Hitler, qu'une telle nation totalitaire et conquérante, si elle sortait victorieuse, imposerait le même écrasement aux populations vaincues, qu'elle embrigaderait de force dans ses conquêtes.
Le refus de la force et le positionnement du retrait pacifiste paraissent dès lors intenables. Face à de telles circonstances, lorsqu'une force terrible menace d'engloutir le monde, il peut y avoir obligation de résistance. La justice semble alors indiquer le devoir d'opposer à cette force une force à peu près égale ; non pas pour chercher à l'engloutir, ce qui ne consisterait qu'à la remplacer, mais afin de la tenir en respect.
Quelques réflexions sur les origines de l'hitlérisme, paraît en 1940 dans les Nouveaux Cahiers. Cet article imposant, qui cherche à élucider la nature profonde du totalitarisme nazi, en cherche la racine dans l'héritage romain : la Rome antique, en effet, par son exaltation de la force d'une part, par son extrême degré de centralisation et d'étatisation de la vie sociale d'autre part, fournit selon Simone Weil le tout premier et l'un des plus excellents modèles d'État totalitaire.
Après avoir étayé cette analogie entre hitlérisme et Rome antique, l'article pointe le péril qu'il y aurait, en cas de victoire des Alliés, à écraser une Allemagne vaincue. Un tel écrasement solderait bien moins la défaite de la barbarie et des tentations totalitaires qu'il n'en impliquerait le triomphe et la continuation, sous d'autres formes et à la main d'autres maîtres.
SOMMAIRE
0:00:00 Titre et musique introductive
0:01:16 Réflexions sur la barbarie
0:10:09 Réflexions en vue d'un bilan
1:03:31 Quelques réflexions sur les origines de l'hitlérisme
2:07:34 Chostakovitch, Quatuor n°15
♪♬ Musique : passages choisis du 15ème quatuor à cordes de Dmitri CHOSTAKOVITCH (1974), interprété par le Borodin String Quartet, et disponible au lien suivant : https://www.youtube.com/watch?v=MMIhsjkqnGE
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