tipiliuke

depuis que je suis hors de ma vie, depuis que je suis ici, au bout du bout de notre monde, on me demande souvent ce que je fais dans la vie.

évidemment j’ai pas mal taffé mon speech depuis le temps que je le répète à chaque coin de rue. mais ce que je voudrais leur répondre, vraiment leur répondre c’est que dans la vie, je vis. je vis la chevauchée de ma vie. et rarement la vie a été aussi joliment remplie et aussi saisissante.

je voudrais tellement que vous puissiez voir cela. d’abord que vous aussi vous puissiez poser vos yeux sur les montagnes qui m’entourent, les kilomètres de Pampa desséchée qui les séparent, les rivières transparentes au courant rapide qui emmène tous les poissons arc-en-ciel vers d’autres paradis déserts. que vous posiez vos yeux et puis que vous regardiez. là il y a un cerf avec ses bois immenses qui saute la barrière, ici une famille de guanacos, ces lamas de l’Argentine, sous le buisson un lièvre énorme ou encore une petite troupe de sangliers, plusieurs chevaux qui se reposent et les vaches et les moutons autour. et le condor qui voltige là-haut. il y a aussi le vertige de l’immensité, le bruit captivant du silence, la poigne du vent violent, la poussière qui vous mord le visage. et vous restez aveugle devant tant de majesté. et tout autour, tout de suite, la nudité, la stérélité éternelle des pierres, le grondement éternel de l’eau, l’éternel souffle glacé des sommets du monde. une terre sous le soleil. une terre sous le vent.

je voudrais que vous puissiez connaitre les gens qui m’entourent. dont la simple sagesse et le respect sacré des mapuchés pour la Pachamama, la terre mère, encrent chaque jour un peu plus en moi un paradoxe éternel qui fait osciller mon coeur entre la vie simple et la vie composée. entre la campagne et la ville. entre la tranquillité et l’ambition. entre le calme et la tempête.

les hommes de Patagonie vivent en selle, meurent en selle. et quand ils jouent ou lorsqu’ils travaillent, il ne peuvent le faire qu’à cheval.

désormais apprivoisés, les gauchos m’ont fait une place dans leur monde d’hommes et de chevaux. dans leur monde d’hommes de chevaux. ils disent bonjour de la main depuis leur truck qui fait s’envoler très haut la poussière ou depuis le dos de leur cheval. ils sourient toujours, ils m’ouvrent les barrières lorsqu’ils me croisent à cheval. maintenant qu’ils ont compris que j’étais capable de me salir les mains, ils me font confiance et ils m’apprennent leurs arts. ferrer les chevaux, marquer les vaches, courser les moutons, tisser les licols et tant d’autres choses. ils savent tout faire et tout ce qu’ils le font, ils le font bien. ils racontent des histoires, lentement, en répétant les dialogues, en faisant des gestes avec les mains, en imitant les voix, les bruits, ils chantent des poèmes d’amour sur des airs de chamamé, portent des boinas, des foulards et un couteau intimidant à la ceinture, les rênes dans la main gauche, le rebenque dans l’autre, le mot juste, jamais un de trop, la fierté en bandoulière, la volonté et le coeur grandiose.

Tipiliuke. l’endroit porte le nom de la montagne et c’est un coeur à l’envers qu’il désigne en langue mapuché. depuis que je contemple chaque jour cette montagne à la forme si exceptionnelle, jamais mon coeur n’a filé aussi droit. je n’avais plus pleuré de joie depuis longtemps. il y a ici quelque chose de si magique, qui m’emplie d’inspiration, enflamme mes carnets, qui me colle un sourire indélébile au visage et un rire argentin.

quelles forces m'ont conduite ici? quel rêve? la sagesse? la fantaisie? une inquiétude éternelle? la soif insatiable de savoir?
je ne sais plus vraiment maintenant mais je sais où elle m’a emmené. où elle m’emmène. vers quelqu’un qui me ressemble mieux. la fiancée du vent, dans une sobriété radieuse, sauvée de la justesse et toujours plus vivante.

Видео tipiliuke канала Marie O'Neill