LE MOUTON 1960 N°2/2 (Jean-Pierre MARIELLE, Fernand RAYNAUD, André GILLE, Jacques HILLING)

MARIELLE - RAYNAUD !
Oui, ce sera toujours ça de fait, hein ? Voyons, vous vous appelez ?
Castel., Fernand. Fernand Castel.
Castel Fernand, vous vous asseyez devant vos supérieurs ?
C’est pas moi, c’est le chef.
Ah dites-donc, vous prenez des libertés que je n’aime pas beaucoup. Votre âge ?
Trente-deux ans.
Marié ?
Non, je suis célibataire.
Et la fameuse Gisèle ?
Oh Gisèle, c’est une jeune fille tellement…
Entré à la Préfecture le ?
Je suis entré le 14 avril 1954.
Notes des chefs de service.
Je suis très très bien noté, vous pouvez regarder.
Employé ?
Modèle.
Peu sérieux.
Non, l’année dernière j’ai eu encore la prime de ponctualité.
Forte tête ?
Ah, non, mais c’est exactement le contraire.
Mais je sais lire, regardez vous-même.
C’est vous qui venez de l’écrire, le crayon là.
J’ai écrit, moi ?
J’ai rien vu.
Moi non plus.
Ah, alors c’est une impression que j’ai eue…
Dites-moi, vous gagnez combien par mois ?
Je gagne six-cent-cinquante-sept francs cinquante par mois, mais avec la Sécurité Sociale à moi, ça fait six-cent dix.
Six-cent-cinquante-sept francs cinquante par mois,..
Et cinquante centimes…
…et vous avez les moyens de fumer des cigares de La Havane ?
C’est vous qui me l’avez offert.
Moi ?
Oui, souvenez-vous. Si, vous en avez même mis trois, là. Regardez. J’ai dit tiens, je les offrirai à mon beau-frère.
De la contrebande ! Dites-moi mon garçon, ça ne m’étonnerait pas que falsifiiez les comptes de l’État.
Oh ben jamais de la vie, alors là je suis tranquille, vous pouvez regarder. D’abord, je fais toujours la preuve par neuf…
Oui, on va voir ça.
La, la, la, on va voir ça.
Vous sentez l’alcool, ça fait combien de temps que vous vous enivrez ?
Écoutez, Monsieur le Directeur, vous êtes de mauvaise foi. C’est vous qui me l’avez offert.
Et en plus vous êtes une forte tête.
Une forte tête.
Une tête de cochon.
Ah jamais ça.
Vous vous moquez de vos supérieurs !
Je me moque de personne, moi.
Voyons si ces additions tombent juste. Page huit, onze-cents francs, page onze, soixante-mille francs ? Où sont les justificatifs ? Entre onze-cent et soixante-mille, il y a un trou ?
Oui, mais enfin, vous avez passé une page.
Ah oui, c’est vrai, pardon. Et bien maintenant c’est net, on passe de onze-cents à soixante-mille par le plus mystérieux des hasards.
Vous avez arraché les deux pages…
Escroquerie caractérisée.
Ah, arrêtez.
Vous êtes passible de la correctionnelle.
Ça brûle…
Martiel, vous avez les menottes ? C’est clair, on gagne cinq-cents francs par mois et on veut en dépenser mille pour éblouir une femme.
Ah ça je vous interdis…
Mais c’est vous qui l’avez dit. Soixante mille francs par mois, c’est une coquette somme. Il va falloir songer à la rembourser, sinon dix ans de prison minimum.
Là, il y a abus d’autorité, et je porterai plainte.
À qui ? À moi…
Vous êtes vraiment trop injuste.
Remarquez, il y a un moyen d’arranger les choses.
Oui, oui, c’est ça. Arrangeons-les alors. Croyez-moi, parce qu’il y a une erreur judiciaire.
Acceptez d’être nommé inspecteur itinérant, et tout est oublié.
Ah, mais vous voulez absolument que j’aille en prison alors ?
Ah ben, c’est à vous de choisir, deux jours, dix ans.
Et puis il y a une chose, je ne veux pas jouer le mouton, là. Abuser de la confiance de quelqu’un, moi ça me révolte.
Mais je comprends vos scrupules. Oublions le mouton.
Voilà.
Je vous demande seulement de passer quarante-huit heures dans la cellule du Tigre et d’ouvrir vos oreilles.
Non.
Mais c’est pas la mer à boire.
Non, je ne veux pas aller en prison.
Songez que vous allez doubler votre traitement. Il y a une certaine Gisèle…
Ah, je vous interdis de parler de Gisèle…
… Qui va être bien étonnée. Un inspecteur itinérant, ça va chercher dans les, avec indemnités, les quinze-cents francs par mois.
Par mois ?
Oui, d’ailleurs c’est un ordre,
Quinze-cents francs par mois, d’autant plus qu’en prison, on est nourri et logé…
Eh ben, voilà… Alors c’est d’accord ?
D’accord, puisque c’est un ordre… Ah mais hep, il y a quelque chose qui va pas là, je repense, ça va pas être possible.
Quoi ?
Parce que la nourriture, en prison, ça n’ira pas, puisque je suis au régime…
Oh, mais je vais faire donner des instructions…
Vous êtes bien bon.

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